CAF d’Argenteuil : le jour de la Petite Carotte et des Grands Bâtons

Publié le par des précaires en lutte

 

 

Lundi 20 octobre 2008 - 8 heures 30: événement exceptionnel, la CAF réouvre ses portes, après une semaine de fermeture, et une brève réouverture par les allocataires le lundi 13 octobre dans l'après-midi.

Voir l'article : CAF d’Argenteuil : la direction appelle la police face aux allocataires qui exigent la réouverture

Ce 20 octobre, le Café des Coupables porte bien son nom. En effet, au moins quarante allocataires sont massés devant la porte.

Rien d’inhabituel, c’est la crise : retards de dossiers de plusieurs mois, encore aggravés par les fermetures continuelles, qui empêchent le dépôt des dossiers, de pièces manquantes, ou le traitement des situations complexes, encore plus nombreuses avec l’expérimentation du RSA.

Seulement, ce matin, le service public local a reçu du renfort. Pas de personnel CAF en plus, il n’y pas de fric, parait-il. Mais au moins une quinzaine d’agents de la police Nationale, en tenue « maintien de l’ordre » dont certains sortent de leurs camionnettes flash ball en main.

Malgré notre bravoure légendaire dans toutes les CAF de France et de Navarre, résonne à nos oreilles la célèbre harangue de celui qui était alors premier flic de France prononcée à Argenteuil, un soir dans la « France d’avant » . « Vous en avez marre de toute cette racaille, et bien on va vous en débarrasser », disait le futur Président à un invisible interlocuteur.

Un doute nous prend : était-ce donc le directeur de la CAF qui implorait au balcon ? Le grand nettoyage va-t-il commencer par nos misérables personnes ?

Manifestement non. Il s’agit simplement de nous en rappeler la possibilité permanente, et les policiers se postent de chaque côté de l’entrée encore fermée.

Sur l’autre trottoir, la police municipale est également là : manifestement, le maire socialiste d’Argenteuil n’a comme divergence avec l’Etat sur la politique sociale à mener, que la marque des voitures de police.


8h55 : nous avons déballé le café, distribué les tracts et le journal aux allocataires présents, dont beaucoup se demandent si la CAF n’a pas été remplacée par un commissariat, lequel sera sans doute ouvert beaucoup plus fréquemment.

Mais, non voici le directeur qui vaillamment se place au milieu de la foule pour improviser un discours inaudible et confus d’où il ressort que la CAF va ouvrir. Bon nombre d’allocataires sont en train de signer les pétitions contre la fermeture, ça tombe bien.

 

9HOO pile : le rideau s’ébranle. Mais aujourd’hui, il faut montrer patte blanche, en l’occurence la fameuse carte d’allocataire ; et c’est le directeur lui même qui va assurer les contrôles d’identité, toujours entouré des agents de police.

Est ce sa direction qui lui a intimé l’ordre d’accomplir cette basse besogne lui-même ? Les salariés ont-ils refusé de le faire ? Nous n’en savons rien, mais le côté absurde de la situation est frappant, et montre bien le degré d’affolement qu’a manifestement suscité la rébellion du lundi précédent contre les fermetures.

D’ailleurs, ce contrôle des cartes entre en contradiction avec un autre objectif du cirque d’aujourd’hui : apparemment, il s’agit aussi à tout prix de cacher le degré de désorganisation qu’entrainent les fermetures et leurs conséquences pour les allocataires, en terme d’attente au guichet et de dossiers non traités.

Après les grands bâtons, les petites carottes : le fonctionnement de la CAF semble brusquement s’être amélioré.

Presque tous les guichets sont ouverts, et nous apercevons à l’un d’eux une personne qui habituellement fait office d’adjointe du directeur et ne répond pas directement aux usagers.

D’autre part, les salariés sortent fréquemment pour accompagner les allocataires à la borne extérieure et les aider à la faire fonctionner. Dès qu’un allocataire le sollicite ou qu’une personne est manifestement en butte à un problème au guichet, le directeur lui-même s’enquiert de ce qui se passe, examine les papiers de l’allocataire.

Le problème du contrôle des cartes, c’est qu’imanquablement, ça crée des queues.

Et ce d’autant plus que les allocataires, malgré la présence dissuasive des policiers, n’hésitent pas, pour certains à faire de la résistance passive : certains répondent "oui" à la question « Avez-vous votre carte ? » mais ne la sortent pas et continuent leur route ce qui oblige le directeur à leur courir après... et pendant ce temps, évidemment, d’autres s’engouffrent dans la CAF sans rien montrer du tout.

Quelques uns s’amusent à sortir successivement leur carte de sécu, de l’anpe, de transport, de familles nombreuses, avant d’exhiber la bonne devant le directeur excédé qui est ensuite obligé de laisser passer une bonne dizaine de personnes sans rien demander, car sinon, la funeste queue qui montre à tous que tout ne va pas mieux dans la meilleure des CAF, se reforme.

Nous l’entendons aussi demander aux allocataires qui sortent combien l’attente a duré : il arrête au bout d’un moment manifestement très embêté, car les gens disent le plus souvent : « une demi heure » et ça ne correspond apparemment pas au modèle de fluidité qui devait être mis en place.

En tout cas manifestement, aujourd’hui on répond aux allocataires : l’un d’eux suspendu de RMI est entré furax. La suspension est due à un contrat d’intérim de deux mois au SMIC et ne correspond en rien, ni aux règles du cumul RMI ni même à celles du cumul RSA pourtant peu avantageux. Ca fait plusieurs fois qu’il écrit ou qu’il vient, mais aujourd’hui, on lui annonce que tout va rentrer dans l’ordre dans les deux semaines. Ce qui ne l’empêche pas de clamer haut et fort qu’il n’est pas prêt de retourner bosser pour se retrouver dans la merde, encore plus qu’au RMI.

En tout cas, en moins de deux heures, nos trois cent tracts sont épuisés, ce qui donne une idée du nombre de personnes concernées d’une manière ou d’une autre par les retards et les fermetures sur la seule commune d’Argenteuil.

 

Malgré la parade répressive, qui vise aussi à isoler notre collectif des autres allocataires, l’appel contre la fermeture recueille à nouveau plusieurs dizaines de signatures. Une pétition, ce n’est pas toujours signe d’un grand engagement : mais là, nous l’interprétons comme un geste fort : les personnes qui parlent avec nous devant la direction et la police, signent, laissent leur nom et leur adresse, sachant pertinemment que nous allons ensuite les remettre à la CAF.

Et ce n’est pas forcément simple de braver la peur des représailles toujours possibles quand on est allocataire, qu’une partie de ses revenus dépend de la CAF.

Ce qui se passe à Argenteuil actuellement, est loin d’être anecdotique ou exceptionnel : dans toute l’Ile de France, et particulièrement dans les banlieues pauvres, une offensive anti sociale sans précédent se joue au travers du délabrement volontaire des CAF.

Sciemment, le gouvernement et les départements organisent concrètement la disparition prochaine d’un certain nombres de prestations sociales. ça commence par des fermetures régulières, puis viendront des restrictions de plus en plus sévères pour l'obtention du RSA...

Sous couvert de «  fermetures exceptionnelles  » de «  retards temporaires dans le traitement des dossiers  », on tente de faire passer une idée : l’accès aux droits sociaux peut être retardé de plusieurs semaines ou plusieurs mois. Clairement, cela revient tout simplement à dire que ces droits n’en sont plus, qu’ils deviennent des « aides » à la carte, s’il y a encore assez d’argent dans les caisses, assez de personnel... Faire en sorte que les prestations soient versées, devient une option possible si l’on n’a pas fixé d’autres priorités, comme déverser des dizaines de milliards d’euros aux entreprises et aux banques.

Dans ce contexte, les résistances que nous développons à l’échelle locale sont toujours significatives. Elles donnent une idée des victoires qu’il serait possible de remporter si elles se multipliaient : la réponse de la CAF d’Argenteuil aux initiatives des allocataires en lutte, qu’il s’agisse de la police ou du brusque effort d’accueil fait ce lundi n’est pas une parade extensible à l’infini.

Si les allocataires multiplient les réactions collectives, si les grèves reconductibles initiées par les personnels des CAF du Val de Marne se multiplient, alors il sera au moins possible de sauvegarder les droits qui nous restent.

Et si ces luttes se rejoignent, si nous parvenons à nous organiser collectivement, salarié(e)s et allocataires, nous pourrons aller bien plus loin.

Publié dans CAF Argenteuil

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